• Le crash du FX-08 relaté par son pilote le Col Avi e.r. G.Castermans.
    Article tiré du "Golden Falcon n°31 de Septembre 2003".
  • Conclusion de l'enquête - Photos.

 

       

 

 

 16 Juillet 1963 - Dernier vol du FX-08.

 

En Avril 1963, le 1er Wing, commençait son rééquipement avec l'arrivée au compte-gouttes de ses premiers F-104G (FX-04, FX-03, FX-02, FX-05, FX-07, FX-08, FX-06 dans l'ordre) construits par l'association FAIREY/SABCA à GOSSELIES.
La « servicibilité » n'était pas mirobolante et cinq pilotes se partageaient harmonieusement les quelques vols offerts par la ligne 350 et la Maintenance ; elles-mêmes en pleine reconversion.

Ces cinq élus étaient :  

  • Lt Col Steve CAILLEAU  (OSN) rentré d'un long séjour à Edwards AFB (USA) au sein de la F-104G Joint Test Force.
  • Maj Marcel LEGRAND (CO 350) et Capt Georges CASTERMANS (Pilote d'essai Maintenance) récemment  arrivés de l'EMG/FA2 (VPE) qui avaient effectué une conversion F-104F à Nörvenich (RFA) en début d’année et un premier solo F-104G a Gosselies au mois d'Avril.
  • René BLANCHART et Guy PAULET qui rentraient d’une conversion F-104G à George AFB (USA).

 

Le 16 juillet 1963, deux F-104G étaient disponibles en même temps, le FX-07 et le FX-08.
Le premier avait un excellent Radar et le CO LEGRAND et moi nous disputions pour l’utiliser dans une séance de PI’s (Practice Interception - Interceptions Mutuelles) sous contrôle du CRC Glons.
Victime du grade inférieur, je me retrouvai  dans le FX-08 pour ce vol de routine ou en tout cas sensé être tel !


La séance d`interceptions se déroule sans histoires et après environ une heure trente de vol, le BINGO annoncé (niveau de carburant prévu pour le retour à la base) nous entamons une descente individuelle en GCI/GCA sur Beauvechain (descente et atterrissage contrôlés par radar) vers la piste 22 gauche.

Tout se passe bien iusqu’au début de la finale (réduction de la vitesse en "TAKE-OFF" flaps, train sorti et début de descente en "LAND" flaps ) Voulant légèrement augmenter la vitesse (175 nœuds/325 km par heure), je sollicite légèrement la manette a gaz (1 ou 2 % en plus) quand soudainement mon avion part dans un roulis violent vers la gauche. Dans un réflexe éclair qui va me sauver la vie, je replace la commande des flaps en position "TAKE-OFF",  je mets la manette des gaz à fond et je redresse l’assiette latérale de l'avion au moyen du manche a balai. Cette embardée de l'avion m’a fait perdre beaucoup d’altitude et m’a amené presqu’au ras des arbres tout en me faisant virer vers le sud.

Je constate tout de suite que les "FIRE" lights (indicateurs de feu) sont allumées et je réduis légèrement les gaz, tout en étant à la limite de la perte de vitesse, ce qui permet au moins d’éteindre ces deux méchants yeux rouges. Une analyse rapide de la situation me fait penser que le BLC (Boundary Layer Control / Contrôle de la couche limite), système de soufflage d’air sur les  flaps qui permet au F-104G doté de moignons d'ailes, de tenir l'air a vitesse relativement ( ! ) basse pour l’atterrissage, a lâché du coté gauche tout en continuant à fonctionner à droite. De ce fait, je me suis retrouvé avec une aile droite sustentée et un volet gauche faisant fonction de « dive brake » (frein de piqué).

  • Photo A630716-01 : Principe du BLC
    • L'air du systeme BLC est soutiré au niveau du dernier étage du compresseur et acheminé vers le "Boundary Layer Control Duct" (4) qui est localisé sur la partie supérieur des "Trailing Edge Flaps" (3).
      Le BLC manifold comporte une série d'injecteurs (2) dirigeant l'air à haute pression, et haute température sur la surface supérieure des flaps,  lorsque qu'ils sont en position "LAND" uniquement.
      Cet air injecté à haute vitesse force les couches adajacentes à adhérer aux flaps et les empêche de se décoller.
      Ce système, complètement automatique permet de réduire la vitesse d'aterrissage. (175 noeuds à 87-90% RPM)

 


Etant repassé sur la fréquence radio locale (canal14), j’explique à la tour de contrôle et au CO LEGRAND qui a atterri devant moi, l’incident dont je viens d’être victime et la situation précaire dans laquelle je me trouve. Entre-temps, l’OSN est monté à la tour et me donne l'ordre d’aller atterrir a Gosselies.
Il faut savoir en effet que la piste principale de Beauvechain (22R/04L) est en réfection (resurfaçage balisage, installation de barrières d’arrêt à câble pour le F-104 équipé d'un crochet d’arrêt d’urgence).
Les S.O.P’s (Standard Operational Procedures - Procédures Standards d’Opération) prévoient que nous pouvons opérer sur la piste parallèle dans des conditions météo bien précises et en atterrissage avec "LAND" flaps et parachute de freinage impérativement. Ne pouvant plus sortir les pleins volets, je suis donc obligé de me divertir vers Gosselies dont la piste est déjà équipée de barrières d’arrêt à câble pour les essais en vol des F-104G fabriqués par la SABCA.
La réduction de puissance a éteint les lampes de feu mais malgré cela, l'air chaud à 650°c sortant du 13ème étage du compresseur s’échappe de la tuyauterie disjointe entre le moteur et l’emplanture de l‘aile. Sous l'effet de la chaleur, certaines composantes qui ne sont pas prévues pour subir de telles températures, commencent à fondre comme par exemple les indicateurs de flaps qui devraient indiquer la position T/O (TAKE-OFF) dans laquelle elles étaient revenues, mais indiquent à présent "Barber Pole" (diagonales obliques).
Ceci ne présage rien de bon pour la suite...

  • Photo A630716-05 : Indicateur de Flaps en position "Barber Pole"
    • Indiquant un désaccord entre la position actuelle des flaps et l'indication    (transit)
    • Indiquant une erreur d'alimentation électrique de l'indicateur                       (power off)

 


Bien obligé d’aller me poser à Gosselies, je refais une analyse de la situation et constate que ma vitesse est vraiment trop basse pour un vol en "TAKE-OFF" flaps.  Dans le but d’augmenter légèrement celle-ci et aussi de reprendre un peu plus d’altitude, tout en craignant de voir s'allumer à nouveau les lampes de feu, je titille la manette à gaz vers l'avant. Ce geste est immédiatement sanctionné par l'allumage des deux méchants yeux rouges et mon moteur s'emballe à 102,5 % sans que je puisse de nouveau réduire sa vitesse de rotation.
Que s’est-il passé ?
Du fait de la rentrée du train d’atterrissage, les « by-pass flaps » qui permettent le passage du flot d'air secondaire autour du moteur en vol normal avec train rentré pour assurer le refroidissement et une poussée optimale, ont été rouvertes. Mais à vitesse réduite, le moteur à plein régime demande un énorme volume d'air que ne lui fournissent pas les entrées d’air du F-104. Le compresseur du moteur aspire alors tout ce qu’il peut et entre autres, l'air founi par les petits volets mobiles situés sur les flancs du fuselage au-dessus et en dessous de l’aile.
Dans mon cas, cet air entraîne avec lui vers l'avant l'air chaud à 650° C sortant de la tuyauterie disjointe des  flaps  et vient lécher les senseurs de température à l’entrée du compresseur.
Ceux-ci contrôlent la CIT (Compressor Inlet Temperature / Température à l`Entrée du Compresseur) et influencent le « Fuel » en fonction de celle-ci, de telle sorte que pour éviter un décrochage du compresseur, à faible température le régime moteur maximum est réduit à 96,5 % et à haute température il est porté à une valeur fixe de 102.5 % avec manette a gaz tant au maximum qu’au ralenti. Cette haute température se rencontre habituellement à haute altitude et à l’approche de Mach 2 (2300 km/hr).
Or ici, je vole à + 200 nœuds (370 km/h) et à moins de 300 mètres d’altitude.


Au vu de cette situation (moteur emballé incontrôlable, lampes de feu allumées, incertitude sur ce qui se passe là derrière moi dans cet avion), je trouve que c’en est trop et je prends la décision de m’éjecter. J’annonce celle-ci à la tour de contrôle et je prends à deux mains la poignée d'éjection du siège qui se trouve entre mes genoux.
A ce moment, Léon JANS le contrôleur me demande ma position exacte. Je lâche la poignée, appuie sur le bouton radio de la manette à gaz et lui donne distance et relèvement magnétique vers la base tels qu'indiqués sur le « PHI » et j`ajoute : « et maintenant, je saute ! »
Tout se passe très rapidement. Un grand "BANG" (explosion des cartouches d’éjection de la verrière), suivi d’une sensation d'ascenseur (mise à feu de la roquette du siège), une gifle du vent lorsque le siège quitte l’avion et que ma tète passe au-dessus du pare-brise, une fausse sensation de tournis et un claquement bref qui m’annonce l’ouverture du parachute.
Tout cela en moins de temps qu'il ne faille pour l'écrire.
Quand j’ouvre les yeux, je me retrouve assis dans le harnais du parachute avec la corolle de celui-ci au-dessus de ma tête et je vois défiler entre mes genoux mon beau FX-08 qui file droit devant lui, vire ensuite vers la droite, se renverse et percute le sol dans un champ à TAVIERS, au sud d’EGHEZEE après être passé au-dessus d’une grande maison blanche dont la propriétaire attrapera une jaunisse due à sa grande frayeur. Je vois ensuite tomber mon siège dans un jardin en dessous de moi.
Au début de la descente, j’ai une sensation nette de dérive vers la gauche sous l’effet du vent d’ouest mais pas du tout celle de descente sous l’effet de gravité j'estime mon point d'impact au sol dans un champ de blé au-delà d’une prairie entourée de barbelés dans laquelle paissent paisiblement des vaches.

Tout à coup, les choses se précipitent, à l’approche du sol c’est la sensation de descente qui s’accélère et plus du tout celle de dérive.
Ce ne sera plus le champ de blé mais peut-être les barbelés. Finalement non, ce sera la praire au milieu des vaches qui se demandent bêtement ce que vient faire ce perturbateur. Vite, joindre les pieds, fléchir légèrement les genoux comme on nous l’a appris à l’école d’officiers à Coxyde et se laisser rouler dans le sens de la dérive. Tout cela se passe bien, mais hélas, ayant sauté très bas, m'étant d’abord soucié de voir où allait crasher mon avion et ensuite de mon point d’impact au sol, je n’ai pas eu le temps de larguer mon « pack » de survie sur lequel je suis assis, qui contient le canot pneumatique, la carabine et la trousse de secours avec fusées de détresse, sifflet, miroir, etc…
En tombant assis, je ressens une douleur intense dans le bas du dos car mon coccyx s’est écrasé sur le bord de mon « pack » de survie et il s’est méchamment luxé.
Restant couché au sol par crainte que ma colonne vertébrale ne soit touchée, je me débarrasse du harnais du parachute et vois accourir vers moi une foule de villageois, surtout des enfants car nous sommes en période de vacances...
Je demande ou je suis, « A Ramillies » m’est-il répondu. Je refuse que l’on me remette debout et je demande d’avertir la base, chose qui a déjà été faite par les premiers témoins. En effet, il ne faut que quelques minutes pour qu’arrive une ambulance de la base.


Retour à l’infirmerie du camp où je retrouve tout le staff de la base et tout se termine par une bonne pinte autour de mon lit. Je reçois un coup de tel du Général HENRY, chef d‘Etat-major Général de la Force Aérienne, à qui je présente toutes mes excuses pour avoir cassé le premier F-104 de notre FAé, mais il sait déjà qu’il s’agit d’un problème technique et que je n’en suis pas responsable.
Après trois semaines au lit, sur le ventre pour éviter les douleurs au bas du dos, je repasse chez les « toubibs » de Géruzet qui me déclarent « apte au vol » le 19 août et je peux enfin revoler le 21 août, après 35 jours de patience, pour une mission de « Refamiliarisation et BLC test »… et ce sur le FX-07.


La cause technique de cet incident est la rupture d’une pièce du collier de serrage de la tuyauterie d’air du système BLC.
La pièce incriminée était trop fragile pour les fortes différences de température qu’elle devait supporter. Ce collier de serrage a été remplacé par un nouveau modèle sur tous les F-104 existant à l’époque et sur tous ceux qui seront construits par après (+ 2500 au total).
Odon Peeters, le sympathique crew-chief attitré du FX-08, s’est cru longtemps responsable de la perte de son bel avion, pensant qu’il aurait dû, lors de la "Preflight" (inspection avant le vol) déceler le mauvais serrage du collier incriminé. L’enquête technique a révélé qu`il n'en était rien puisque c’est la rupture de la pièce qui a provoqué la séparation de la tuyauterie et pas un défaut de serrage.

Une "Emergency procedure" a été introduite par la suite dans le "Dash-one” des pilotes, spécifiant que dans le cas d’une panne BLC de ce type, il fallait remettre les “flaps" en position "TAKE OFF", laisser le train sorti pour éviter le reflux du flot d’air secondaire vers l’avant et atterrir le plus rapidement possible pour éviter les effets secondaires destructeurs dus à la température élevée de l’air s’échappant de la tuyauterie disjointe.

 

Si j’avais su, si j’avais pu .........

 

 

G.Castermans

Col Avi e.r.

 

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